Différences entre les versions de « 4. D. La position de l'adjectif »
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'''''aniva'' musica''' (Manciet): "entraînante musique" | '''''aniva'' musica''' (Manciet): "entraînante musique" | ||
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'''''impenetrable'' mistèri''' (Palay): "impénétrable mystère" | '''''impenetrable'' mistèri''' (Palay): "impénétrable mystère" |
Version actuelle datée du 26 juillet 2022 à 13:40
Un mythe: la postposition systématique de l'adjectif
Contrairement à ce que certains affirment, en gascon (et plus généralement en occitan) l'adjectif épithète peut se placer avant ou après le nom qu'il qualifie. Il en était de même en latin, et il en était ainsi également dès les origines de la langue, ainsi que tout au long de son histoire, et ce même pour des adjectifs qui, habituellement, sont placés après le nom:
farai un vers de drech nient (Guilhem de Peitieus): "Je ferai un vers sur le pur néant."
douç chants d'ausèls de lonh (Jaufré Rudèl): "doux chants d'oiseaux éloignés"
Lo gens tems de pascor / ab la frescha verdor (Bernat de Ventadorn): "La belle saison de printemps / et la fraîche verdeur"
Be'm plais lo gais temps de pascor. (Bertrand de Bòrn): "J'aime la joyeuse saison de printemps."
Mes conego lo diit Conte que non pode aver poblades sinon que meilhers fors e franquessas los donessa. (For d'Oloron): "Mais ledit Comte s'est rendu compte qu'il ne pouvait avoir de nouvelles localités sans leur donner de meilleurs fors et libertés."
la divinau sabence (For d'Oloron): "la sagesse divine"
vertadere patz (Récits d'histoire sainte): "vraie paix"
humanau natura (Récits d'histoire sainte): "humaine nature"
la espabentable obre que jo fare (Récits d'histoire sainte): "la terrible action que je ferai"
ues aules femnas (Récits d'histoire sainte): "de mauvaises femmes"
Fo mau rey et trop faus e desleyau. (Récits d'histoire sainte): "Il fut mauvais roi, très hypocrite et déloyal."
la noble e poderosa done (Charte de Madame Jeanne d'Artois): "la noble et puissante dame"
son sant decret que jamés non varia (Psaumes de David, trad. Arnaud de Salettes): "son saint décret qui jamais ne varie"
lo clar sorelh après se va lhevant (Psaumes de David, trad. Arnaud de Salettes): "puis le clair soleil se lève peu à peu"
deus grans aigats trei hòra ma persona (Psaumes de David, trad. Arnaud de Salettes): "des grandes inondations il sort ma personne"
Une liberté plus grande qu'en français
- La Grammaire provençale du CREO Provença affirme: "L'occitan, en particulier le provençal, a une tendance nettement plus marquée que le français à placer l'adjectif après le nom, surtout s'il s'agit de donner une valeur forte à la qualification." Encore faut-il préciser que cela concerne surtout la langue populaire et familière, et ne pas exagérer cette tendance.
- Jules Ronjat voyait quant à lui une liberté de construction plus grande qu'en français: "On ne commettra pas de faute en observant les règles qu'on trouve dans les grammaires françaises, mais un orateur ou un écrivain pourra parfois sans troubler un public même populaire employer, suivant le rythme de la phrase ou en vue d'un effet stylistique, un ordre de mots que le français n'admettrait pas, ou admet plus rarement: d'esmoventei declaracions "des déclarations émouvantes", trencantei paraulas "paroles tranchantes", l'afogat felibre X*** "l'ardent (fougueux) félibre X***", seis afogadei recèrcas "ses recherches (scientifiques) zélées". (Essai de syntaxe des parlers provençaux modernes, p. 28)
Adjectifs habituellement antéposés et postposés
- Comme en français, certains adjectifs ont plutôt tendance à se placer avant le nom:
la mei grana calor (Yan dou Sabalot): "la plus grande chaleur"
ua pregona tristessa (Yan dou Sabalot): "une profonde tristesse"
au bon moment (Casebonne): "au bon moment"
un maishant arbe (Casebonne): "un mauvais arbre"
la joena veuda de l'immòble (Javaloyès): "la jeune veuve de l'immeuble"
la gaujosa gojata (Sabalot): "la joyeuse jeune femme"
- Inversement, d'autres ont tendance à se placer après le nom, comme les adjectifs de couleur, les participes passés ou présents employés comme adjectifs et les adjectifs relationnels (qui équivalent à un complément de nom):
de vetas arrojas, bluas, verdas e jaunas (Eyt): "de rubans rouges, bleus, verts et jaunes"
lo son paraploja florit (Javaloyès): "son parapluie à fleurs"
la patria navarresa (Casebonne): "la patrie navarraise"
lo noste só meditarranèu (Javaloyès): "notre soleil méditerranéen"
- L'adjectif épithète est postposé lorsqu'il est accompagné d'un complément ou précédé de tot et, généralement, lorsqu'il est coordonné à un autre adjectif:
las aleas vueitas de monde (Casebonne): "les allées désertes"
la canta vielha com lo monde (Sabalot): "la chanson vieille comme le monde"
a pas longs e pressats (Casebonne): "à pas longs et pressés"
la soa man tota plapada (Javaloyès): "sa maison toute tachée"
Changements de position
- Il est possible, dans certains cas, de placer un adjectif épithète en position inhabituelle. Cette faculté est fonction de divers types de considérations, d'ordre euphonique, stylistique ou sémantique; dans ce dernier cas, l'adjectif épithète en position inhabituelle se voit attribuer un sens figuré, plus abstrait; la langue poétique use largement de cette possibilité:
blos aire (Camélat): "air pur"
lo trist e indecís clapotís (Darclanne): "le triste et indécis clapotis"
preciós e curiós libi (Darclanne): "précieux et curieux livre"
escosent poton (Abadie): "cuisant baiser"
diabolic metau (Lapassade): "diabolique métal"
aniva musica (Manciet): "entraînante musique"
l'estonanta renomada (Camélat): "l'étonnante renommée"
impenetrable mistèri (Palay): "impénétrable mystère"
Un negre ser d'ivèrn, la mair qu'èra partida. (Sabalot): "Un lugubre soir d'hiver, sa mère était partie."
la desastrosa fin de l'Empire segon (Sabalot): "la désastreuse fin du second Empire"
d'ua esbrecada votz (Labaig-Langlade): "d'une voix éraillée"
l'aulorejant vrespèr (Labaig-Langlade): "le goûter parfumé"
l'escricat taulèr (Labaig-Langlade): "sur l'étal remarquable"
aus estelats terrèrs (Labaig-Langlade): "dans les coteaux étoilés"
- Toutefois, certains adjectifs ordinairement antéposés sont plus facilement postposés qu'en français sans qu'on puisse y voir de claire différence sémantique:
la muralha hauta (Casebonne): "le haut mur"
Que's liguè d'amistat grana. (Casebonne): "Il se lia d'une grande amitié."
Catau, la hilha beròja (Lalanne): "Catau, sa fille, qui était jolie"
Quan lo sorelh navèth s'en·horna dins les traucs... (Sabathé): "Quand le soleil nouveau s'enfourne dans les trous..."
Le cas de MIÉLHER et SORDEISH
- Miélher et sordeish (ou son équivalent péger), employés comme adjectifs épithètes, se placent d'ordinaire avant le nom qu'ils qualifient:
los miélhers obrèrs de nosta Renaishença (rédaction de Reclams): "les meilleurs ouvriers de notre Renaissance"
N'ei pas lo son miélher tribalh. (Camélat): "Ce n'est pas son meilleur écrit."
los miélhers gojats o gojatas (Palay): "les meilleurs garçons ou filles"
un deus sons miélhers amics (Casebonne): "un de ses meilleurs amis"
Totun péger mauhèit mortadèr ne’u suspren. (Darclanne): "Pourtant pire méfait meurtier ne le surprend pas."
- Il en va de même des autres comparatifs synthétiques; v. 4. C. Les degrés de signification des adjectifs#Comparatif de supériorité
- Les formes analytiques correspondantes peuvent se placer avant ou après le nom:
Que serà lo mei bon *moien de l’arrecomandar aus auts. (Lafore): "Ce sera le meilleur moyen de le recommander aux autres."
la mei bona leitèra de Vitenh (Hustaix): "la meilleure laitière d'Abitain"
La mei maishanta bèra-mair non gausa secutar la nòra dinquiò aquiu. (Pucheu): "La plus méchante belle-mère n'ose pas harceler sa bru jusque là."
los mei maishants moments de la batalha d’Alsàcia (Javaloyès): "les pires moments de la bataille d'Alsace"
Adjectifs épithètes à sens différent selon la position
- Certains adjectifs changent complètement de sens selon qu'ils sont antéposés ou postposés:
un òmi triste ("un homme triste), vs. un triste òmi ("un sale type")
un òmi praube ("un homme pauvre"), vs. un praube òmi ("un pauvre homme", un homme qui inspire la pitié)
Praube peut aussi avoir le sens de l'adjectif français "feu":
Qu'a fenit com la prauba sa mair (Peyroutet): "comme feu sa mère"
un òmi gran ("un homme de haute stature") vs. un gran òmi (un homme qui a accompli de grandes choses)
fotuts mestièrs ("de fichus métiers", "de satanés métiers"), vs. mestièrs fotuts (des métiers foutus, qui ne rapportent plus)
los mendres detalhs (Sabalot), vs. detalhs mendres qui voudrait dire "des détails sans importance, insignifiants"
ua bèra mosca ("une grosse mouche'), vs. ua mosca bèra (un oestre du boeuf), ici on a même un lexème distinct.
escuts petits (Palay), des écus de 3 F (au lieu de 5), vs. petits escuts qui aurait une nuance affective.
- On postpose certains adjectifs pour signifier une opposition entre deux personnes, deux choses, deux objets:
lo pont vielh, lo pont nau (à Orthez)
la lua vielha ("la lune à son dernier quartier"), la lua nava ("la nouvelle lune")
l'òra vielha (l'heure d'avant le changement d'heure), l'òra nava (l'heure d'après le changement d'heure)
la hauta capèra ("la haute chapelle" (la chapelle dont nous parlons, qui est haute)), la capèra hauta (la chapelle du haut du village, par ex.)
la joena reina ("la jeune reine"), la reina joena (la femme du roi régnant, par opposition à la reina vielha, la reine-mère)
Les adjectifs épithètes dans les toponymes
Selon Ronjat, on dit en provençal l'auta Provença. Certains préfèrent postposer l'adjectif épithète dans ce cas. En gascon, on le trouve aussi bien antéposé que postposé: Bigòrra Baisha ou Baisha Bigòrra, Baish Comenges, Ribèra Baisha, Baish Aussau. On peut dire aussi Comenges de Baish, Armanhac de Baish...