6. Le gascon: variation et standardisation

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Après cent-vingt ans de renaissance, le gascon, aujourd'hui, oscille toujours entre la variation diatopique (la diversité des parlers selon les lieux) et la standardisation.


Le béarnais classique

Ce n'est qu'en 1896, avec plus de quarante ans de retard sur la Provence, que fut fondée en Béarn et Gascogne l'école félibréenne Escole Gastoû-Febus. S'inspirant, non sans des changements, des travaux de Vastin Lespy, auteur de la première grammaire et du premier dictionnaire béarnais, elle mit au point la première graphie du béarnais, non sans hésitation (on pouvait écrire aussi bien <bis> que <bist>, <poun> que <pount>. Au-delà, en choisissant le béarnais comme langue écrite (son oeuvre primordiale Belina est de 1898), le Bigourdan Miquèu de Camelat proposait celui-ci (en fait, le gascon oriental parlé en Béarn de Monein à Lembeye) comme langue unique de la Gascogne au moins pour la création littéraire. Plus tard, il expliquera à l'Armagnacais André Pic s'être mis d'accord avec Simin Palay là-dessus, et réussira à entraînera Pic lui-même dans son sillage. Il appelait cette forme de langue le béarnais classique.

Force est de reconnaître que Camelat, Palay et Pic furent assez seuls dans cette idée de faire du béarnais classique la langue écrite de Gascons. Al-Cartero, prolifique écrivain de Salies, écrivait une langue basée sur son parler local dont la différence avec le béarnais classique est sensible. On peut en dire autant de Julien de Casebonne. C'est à plus forte raison le cas des auteurs qui n'étaient pas béarnais, à l'exception de Pic. La langue de Camelat lui-même est pénétrée de lavedanismes lexicaux et syntaxiques. Il est vrai que les félibres de l'Escole Gastoû-Febus ne pouvait pas s'appuyer sur une connaissance des parlers gascons qui n'exisrtait pas, et de toute façon, hormis Bouzet, ils n'étaient pas linguistes.


La graphie classique

En 1952, Louis Alibert, Pierre Bec et Jean Bouzet ont adapté la graphie classique au gascon: alors que contrairement à ce qui s’était passé en Provence, les félibres n’avaient pas su doter notre dialecte d’une graphie unique, le gascon pouvait pour la première fois s’écrire selon les mêmes règles du Médoc au Béarn et de Bayonne à Toulouse. Une même graphie pouvait recouvrir plusieurs prononciations et la nouvelle norme graphique faisait aussi résolument abstraction des phénomènes de prononciation les plus localisés ou les plus aberrants (voir Les principes de la graphie classique).

Il fallut deux décennies à la graphie classique pour se faire connaître au-delà d’un cercle d’initiés (1). D’autre part, les ouvrages d’apprentissage du gascon, les grammaires et les dictionnaires, sont, depuis près d’un siècle, béarnais ou basés sur des formes sud-gasconnes, et c’est dans cette région de Gascogne du sud que les initiatives de la Renabide félibréenne, puis de la Renavida occitaniste, ont pris une certaine ampleur; ces deux faits ont amené la diffusion à l’extérieur de leur aire traditionnelle de formes sud-gasconnes - en fait "béarnaises" - tant dans le vocabulaire que dans la grammaire (2). Aujourd’hui, un Girondin et un Couseranais écriront deux types de langues nettement moins éloignés l’un de l’autre qu’ils ne l’auraient fait il y a un siècle (3). C’est dans le domaine de l’enseignement et celui des médias (revues, émissions de radio et de télévision) que cette unification est le plus sensible.

Des clivages persistants

Cela n’empêche pas que des clivages persistent: si l’imparfait de type avèvi tend à gagner du terrain sur celui de type aví, ou bastivi sur bastishèvi, par exemple, il reste deux formes d’imparfait entre lesquelles il est difficile de trancher. Il est encore plus difficile, entre les trois formes de présent basteishi, bastishi, bastissi, de privilégier l’une d’entre elles et de décréter qu’elle devrait être enseignée dans toute la Gascogne au détriment des deux autres. L’énonciatif que est un sujet particulièrement sensible: il n’y a pas de raison que les régions qui l’emploient l’abandonnent, et il n’y en a pas non plus pour que les régions qui ne l’emploient pas se mettent à l’employer. Il en va encore de même pour les deux formes ei et es du verbe estar. En tout état de cause, toute démarche de standardisation du gascon initiée "d’en haut" est vouée à l’échec pour la bonne raison qu’elle fera toujours des mécontents qui la refuseront et qu’il n’y a pas d’instance politique pour l’imposer (4). La relative unification du gascon écrit est le résultat d’un lent processus fait d’initiatives en provenance "de la base"; ce sont les enseignants, notamment, qui ont adopté et répandu la graphie classique et qui choisissent – ou pas – d’enseigner d’un bout à l’autre de la Gascogne un gascon relativement standardisé qui n’exclut pas les grandes inflexions locales. Hâtons-nous d’ajouter que ce sont eux qui maintiennent ces grandes inflexions aujourd’hui, dans le cas – de loin majoritaire – où il n’y a plus aucune transmission familiale. L’appartenance territoriale a aussi son importance: le Béarn, la Bigorre, etc., restent des réalités incontournables; un Béarnais dont le parler local connaît les subjonctifs en –i pourra être amené à les rejeter parce qu’ils sont minoritaires en Béarn, mais un Landais les emploiera plus volontiers parce qu’ils sont employés partout dans les Landes. Au demeurant, l’attitude envers la standardisation varie elle aussi d’une région à l’autre et on a vu récemment paraître des ouvrages comme un manuel de conversation de gascon bayonnais ou un dictionnaire français-gascon toulousain, qui témoignent du désir de promouvoir des formes locales de gascon.

Les présentes fiches

Quant aux présentes fiches, elles s’inscrivent dans la lignée des grammaires précédentes, celles de Lespy, de Bouzet, de Salles-Loustau et Birabent, de Hourcade et de Romieu et Bianchi et sont donc centrées sur les parlers de l’est du Béarn qui constituent le socle du béarnais classique des félibres, puis de la koinè gasconne existant à l’heure actuelle. Nous reprendrons, et préciserons le cas échéant, les règles déjà exposées par nos prédécesseurs, nous en dégagerons d’autres également, qui bien qu’elles soient utilisées dans cette koinè gasconne, n’ont jamais été exposées dans les manuels ou l’ont été d’une façon qui, selon nous, manquait de clarté. Cela ne nous empêchera pas de prendre en compte les autres formes de gascon chaque fois que cela nous paraîtra nécessaire et que la documentation dont nous disposons nous le permettra.







(1) grâce notamment aux ouvrages didactiques de Robert Darrigrand: Comment écrire le gascon, Per Noste, 1ère éd. 1969, 2ème éd. 1974, et Initiation au gascon, Per Noste, 1974.

(2) avec une inflexion très "orthézienne" par rapport au béarnais classique: c'est ainsi que Que soi remplace alors Que sòi.

(3) Mais c'est dû en partie à ce que les deux parlers subissent une même influence, celle du français.

(4) Certains ont préconisé d’employer l’énonciatif une fois sur deux ou deux fois sur trois (?). La remarque de Pierre Salles (La lenga en cent tablèus, [1]) selon laquelle "l'emplec deus enonciatius aquestes, qué que'n disen [sic] los "faus sapients", n'ei pas jamei obligatòri, e los mei grans escrivans de noste qu'an sovent produsit frasas dens las quaus e se'n passavan, cada còp qui'us agradava o qui'us rendèva possibles uns efèits interessants" fait bondir: on aimerait savoir quelles sont les sources qui permettent de parler d’effets (de style ?) "intéressants" (et lesquels ?). Au demeurant, Camelat ne ferait alors pas partie des plus grands écrivains! Pierre Salles a en outre l’imprudence d’ajouter qu’il en va de même pour la langue parlée ("la lenga populara tanben") alors que l’A.L.G. a bien relevé que l’énonciatif, là où il est régulièrement employé, se retrouve dans "toute proposition affirmative" (carte n° 2390).