5. Sous-dialectes et parlers gascons

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Si l'occitan connaît une grande diversité selon les lieux (variation diatopique), il en va de même, à son tour, pour le gascon: du Médoc aux vallées pyrénéennes et de la côte atlantique aux rives de la Garonne, il est divisé en sous-dialectes, qui comprennent chacun plusieurs parlers. On a néanmoins pu identifier, au sein du gascon, trois sous-dialectes: le gascon occidental, le gascon pyrénéen et le gascon oriental.


Le gascon occidental

Le gascon occidental regroupe des parlers qui ont en commun la neutralisation de a et e post-toniques, c’est-à-dire que la distinction n’est plus faite dans la prononciation et qu’ils sont tous deux réalisés [ə]: vaca [bˈakə] "vache", compte [kˈuntə] "homme". Cela a généralement pour conséquence l’apparition de subjonctifs en i, comme en catalan oriental (1), afin d’éviter que ce temps ne soit identique à l’indicatif présent: Que cantas, Que voi que cantis.

Les parlers les plus occidentaux (gascon noir et médoquin) sont les plus divergents par rapport au languedocien, dialecte central de l’occitan. Le gascon noir présente la particularité de prononcer le e [ø]: negre [nˈøɣrə]. Sur une partie du territoire de ce parler, on a bien d’autres particularismes: phonétiques comme la réduction de la diphtongue ue à u (huec [hˈyk] "feu") et de la triphtongue ueu à uu (buu [bˈyw] "boeuf"), particularismes morphologiques comme les formes em, et, es… des pronoms personnels compléments, le nombre relativement faible de verbes à conjugaison inchoative ou l’imparfait en –ivi de certains verbes en –er (caliva "il fallait"), particularismes syntaxiques comme la généralisation du relatif dont dans tous les cas. Le gascon noir va de Bayonne au sud-ouest de la Gironde (hors bassin d’Arcachon) en englobant la moitié occidentale des Landes: ce vaste domaine connaît lui-même une forte variation interne.

Il faut entendre par médoquin un ensemble de parlers qui couvrent, en plus du Médoc, Bordeaux et ses environs et le nord du bassin d’Arcachon. Nous rencontrons ici aussi une puissante originalité au sein de l’ensemble gascon tant dans le lexique, souvent d'ailleurs très francisé, que dans la phonétique comme le passage à [ə], voire à [ʔ], de a prétonique du futur des verbes du premier groupe: cantarà [kantərˈa], voire [kantʔrˈa], ou, localement, la réalisation [u] de –a final (vaca [bˈaku]), ou que dans la morphologie (prétérits en u [y] des verbes du second groupe, désinence -re à l’infinitif de certains d’entre eux).

Plus à l’est, les parlers du Bazadais, de l’Albret et de la Chalosse s’écartent moins des autres parlers gascons.

Le gascon occidental s’étend à l’ouest d’une ligne Agen-Pau et englobe la totalité de la Gironde et des Landes, le sud-ouest du Lot-et-Garonne, quelques communes du nord-ouest et de l’ouest du Gers et un grand nord-ouest du Béarn, ainsi que le Bas-Adour.


Le gascon pyrénéen

C’est dans les vallées montagnardes, qui lui donnent son nom, que nous trouvons le gascon pyrénéen. Les parlers pyrénéens accumulent les traits qui donnent au gascon sa spécificité dans l’ensemble occitan. D’ouest en est, on trouve:

  • le pyrénéen occidental (aspois-barétounais et ossalois)
  • le pyrénéen central (parlers lavedanais et du Haut-Adour)
  • le pyrénéen oriental (vallée d’Aure, Louron, Barousse, Haut-Comminges (avec une forte spécificité du parler local de Luchon) et Couserans où cinq parlers locaux ont été identifiés (Ensergueix 2012): bas-couserannais, haut-couserannais, castillonnais, volvestrais et massatois, celui-ci présentant plusieurs traits languedociens). Le gascon-pyrénéen emploie l'article défini eth, era (2).

Le parler aspois-barétounais, qui n’est parlé que dans deux vallées, a conservé les occlusives sourdes [k], [p], [t] du lat. à l’intervocalique: sèca "ronce", ailleurs sèga; sapa "sève", ailleurs saba; Que’m sòi lhevata 'je me suis levée", à Pau et Oloron Que’m sòi lhevada. C’est un cas de conservatisme unique dans la Romania occidentale, que ces parlers partagent avec le basque. Ces mêmes consonnes sourdes se sonorisent après nasale: blanga "blanche", ailleurs blanca; crombar "acheter", ailleurs crompar; candar "chanter", ailleurs cantar.

Ce ne sont pas les seuls traits originaux de ces parlers qui emploient, par exemple, le verbe ir "aller" ou réalisent localement [j] le suffixe –atge: vilatge [bilˈaje].

Le parler ossalois a des affinités avec l'aspois-barétounais: il dit blanga, crombar, candar, mais a subi l'influence des parlers de la plaine, avec laquelle de nombreux contacts semblent avoir existé depuis longtemps. Ainsi, presque toutes les localités de la vallée emploient l'article lo, la.

Cependant, les parlers qui présentent le gradient de gasconnité le plus élevé en même temps qu’un certain nombre de caractéristiques propres sont ceux du Lavedan et du Haut-Adour: conjugaison originale des auxiliaires (par ex. èm pour avem, dès et de pour ès et ei), passage de au prétonique à ai (airà "il aura"), chute du d intervocalique lat. (CADERE > quèr "tomber", pruèra, polh... Ces parlers présentent aussi un nombre de mots prélatins plus élevé qu’ailleurs.

Plus à l’est, le gascon pyrénéen oriental, dans lequel il faut inclure les parlers du val d’Aran, présentent des spécificités, parfois localisées, comme la prononciation [jɔ] de l’article indéfini féminin ua, la prononciation [tj] ou [ʧ] de certains –t finaux (prat [pɾˈaʧ], « pré »), le pluriel en –i ou -is de certains déterminants et adjectifs (vòsti drets "vos droits", aquestis ans "ces dernières années", la forme enà de la préposition ende / entà "pour", les prétérits en –e (batec "il battit") que l’on retrouve plus au nord. Ici aussi le D intervocalique lat. tombe: cair, quèir "tomber".

Les parlers du Comminges et du Couserans ont aussi quelques affinités avec les parlers languedociens proches, comme la diphtongaison avec [j] des groupes voyelle + -s devant certaines consonnes (desbrembar [dejβrembˈa] "oublier", vos demandi [bujðemˈandi] "je vous demande", ou les imparfaits imparfaits en – pour les verbes du deuxième et du troisième groupes.


Le gascon oriental

Au nord des ces parlers et à l’est de la ligne Agen-Pau se trouve le gascon oriental. Maintenant la distinction, dans la prononciation, entre –a et -e post-toniques, il ne connaît pas les subjonctifs en –i. À l’échelle occitane, les parlers de l’est du Béarn présentent encore une physionomie très typée et sont à la base du béarnais classique des félibres. Les parlers du nord de la Bigorre en sont proches, mais sont déjà plus "orientaux" par la prononciation [w] du v intervocalique ou les infinitifs de type prénguer, ténguer.

Plus au nord, l’Armagnac, au coeur de la Gascogne, n’est pas linguistiquement homogène et il faut distinguer le Bas-Armagnac dont les parlers sont proches de ceux des Landes voisines (ils se classent d'ailleurs pour certains d'entre eux dans le gascon occidental) et le Haut-Armagnac, qui constitue un type de gascon dans lequel les caractéristiques propres du dialecte et les affinités avec le languedocien s’équilibrent, au point que certains ont pensé que cet "armagnacais"-là devrait servir de base à la langue littéraire et à un gascon standard. Les désinences –èm, -ètz au présent (batèm "nous battons", bastishèm "nous bâtissons") sont une de ces affinités languedociennes, tout comme le passage de –d- intervocalique lat. à [z] (VIDERE > véser "voir"), qui se produit dans les autres dialectes occitans. Malheureusement, le gascon du Haut-Armagnac n’a pas encore été illustré par une forte tradition littéraire.

Plus à l’est, en Lomagne et en Gascogne toulousaine, les affinités avec le languedocien sont de plus en plus nombreuses: absence d’évolution R- initial > arr-; absence de l’énonciatif et de la négation ne dans les propositions négatives. La transition vers le languedocien reste toutefois assez brutale puisque les isoglosses s’accumulent sur une largeur de quelques km. Ces parlers lomagnols et toulousains restent incontestablement gascons avec l’évolution F > [h], imparfaits en –èvi, prononciation [w] de v


"Coeur de gascon "

Il faut encore mentionner une zone à cheval sur le gascon occidental, le gascon oriental et le gascon pyrénéen, dans laquelle on trouve les tendances suivantes:

  • [ɔ] > [u] et [ɛ] > [e] après consonne nasale ([m] ou [n]): noste "notre", meu "miel", gusmeth "peloton de fil", noça "noce". Certaines de ces formes, plus localisées ne sont d'ailleurs pas employées à l'écrit: [pɾymˈe], [pɾemˈe] (prumèr ou premèr, "premier"); [kuɾnˈe] (cornèr "coin"), [mestˈe) (mèste "maître"), [dinˈes] dinèrs "argent", [baɲˈeɾɔs] Banhèras "Bagnères", [dimˈeɾs] dimèrcs "mercredi". Ce changement n'est pas systématique et dans la même zone se côtoient neu et nèu "neige".
  • [β] > [p] et [ð] > [t] après l vocalisé en [w], m, n et r: crampa "chambre", ompra "ombre", arplo "arbre", hauta "giron", carca "charge". Ce changement n'est jamais systématique et des formes comme arbo, arbe, ombra, existent dans la même zone.
  • [u] > [y] en contexte palatal: potz > putz "puits", molhar > mulhar "mouiller", moishar > muishar "montrer", POSTIUS > puish "puis". Si une forme comme muishar est extrêmement répandue, d'autres sont plus localisées, et certains mots ne semblent pas connaître ce changement: cosina "cuisine".

Cette zone, qui comprend le sud des Landes, la plaine béarnaise et le Lavedan, est celle de parlers où les traits linguistiques gascons sont extrêmement prégnants, constituant une forme de langue, y compris écrite, dont l'éloignement avec l'occitan général est particulièrement marqué. C'est pourquoi nous proposons de l'appeler coeur de gascon. Aussi bien est-ce dans une partie de cette zone que l'écrit gascon est le plus pratiqué depuis maintenant plus d'un siècle.






(1) Le catalan oriental prononce lui aussi [ə] a et e finaux, et d'ailleurs généralement tous les a et e atones.

(2) Celui-ci déborde du domaine pyrénéen en direction de la plaine: Oloron, Lucq-de-Béarn et Tarbes l'emploient.